A peine une semaine après être rentré de mon premier chantier, ne voila-t-il pas que mon boss Michel me téléphone pour me dire que je dois repartir sur JB4.
- Comment ça je dois repartir lui dis-je, ce n’est pas ça qui a été convenu entre nous.
Tu m’avais dis un mois de travail égal deux semaines de récup à la maison, et la cela fait à peine une petite semaine que je suis rentré.
Je ne suis pas d’accord et ma femme encore moins, je ne bouge pas avant une semaine.
Michel n’avait pas l’air trop content car il me dit simplement « tant pis » puis raccrocha.
Ca y est cela commence bien pensais-je, j’espère qu’il ne va pas me punir et me laisser quelques semaines à la maison.
Mais il n’y avait pas de crainte à avoir car à cette époque là, l’offshore était en plein boum et la demande pour des plongeurs était telle que les entreprises n’hésitaient pas à y envoyer n’importe qui, pourvu que le gars avait déjà mis la tête sous eau et c’était bon.
Résultat, le 12 février au matin, je reçu à nouveau un coup de fil de Fladas.
- Salut Francis, c’est Michel.
Ca va t’as passer de bonne récup ?
Puis d’emblée il me demanda si je me débrouillais en Anglais.
J’avais au cours de mon service militaire, dix ans plus tôt beaucoup pratiqué les petites anglaises qui venaient s’amuser à Ostende et à l’époque je n’avais pas trop de difficulté dans cette langue.
Mais depuis, les circonstances avaient fait que je ne l’avais plus utilisé jusqu’au jour ou j’avais été contacté la première fois par Fladas pour partir en offshore.
Depuis, je m’y étais remis intensément et grâce à Assimil, je pus lui répondre :
- Oui ça va, je me défends, pourquoi ?
- Dans ce cas, j’ai un chantier pour toi en Espagne, sur un chantier d’assistance forage
où il y a une équipe de plongeurs à bord, mais aucun d’eux ne parle correctement anglais, et le client commence à faire la gueule.
- Donc si tu veux tu pars demain matin.
Résultat, le jour suivant je me retrouvais à l’aéroport de Barcelone où je fus pris en charge par une charmante jeune fille qui travaillait pour le représentant local du client.
Elle me conduisit jusqu’à un hôtel situé sur la Rambla et en me quittant me donna rendez-vous pour le lendemain matin.
Le soir, je partis à la recherche d’un bon petit restaurant et très rapidement, découvris que cette ville était très agréable.
Le lendemain, à neuf heures tapant, Dolorès vint se garer devant l’hôtel, puis à grand coup de klaxon, m’emmena rapidement jusqu’au port.
Là, le Smit Lloyd, remorqueur hollandais attendait le personnel qui devait relever une partie de l’équipage de la barge.
Le tonton du bateau était hollandais et comme je maîtrisais parfaitement cette langue, le contact fut assez facile et très rapidement j’eus droit à un petit traitement de faveur durant les deux petites heures que dura le voyage.
Vers treize heures, le GLOMAR V était en vue.
C’était un navire de forage au centre duquel trônait un grand derrick métallique.
Une fois à bord, je fis connaissance avec l’équipe que je venais renforcer.
Il y avait là, Raphaël B, le chef d’équipe ainsi que trois jeunes plongeurs dont j’ai malheureusement oubliés les noms.
- Salut, me dit le chef d’équipe, c’est vrai que tu parles anglais ?
- Euh ouais, je me débrouille.
- Ouf, on va enfin pouvoir comprendre ce qu’ils nous demandent de faire.
Comme je n’avais pas encore dîné, l’équipe m’invita à la suivre au mess.
Dans la file qui faisait la queue pour se faire servir ainsi qu’autour des tables rien que des Drillers, des Rough-Necks et des Roustabouts américains qui s’expriment bruyamment.
Une fois servi, je m’installai avec mes nouveaux collègues à une des tables encore libres et commençai à manger.
Beurk, qu’est-ce que c’est ce goût bizarre.
Immédiatement, je saisi mon verre de jus de fruit artificiel et tentai de me rincer la bouche.
Mais, pouah, le goût de ma boisson avait également cette saveur extrêmement désagréable.
- C’est quoi ça demandais-je ?
- Ah ça, me répondit Raphaël en souriant, c’est du gasoil.
Il y a quelques jours, lors du ravitaillement ces imbéciles se sont gourés et ils ont commencé à remplir les cuves à eau, avec du mazout.
Une fois, qu’ils se sont rendus compte de leur erreur, ils ont rincés les cuves plusieurs fois mais rien n’y fait, tout ce qu’on avale pue à mort.
Même l’eau des douches sent comme ça.
En plus, t’as pas de chance car ici on ne peut même pas avoir des boissons en bouteille, tout vient des cales.
Charmant pensais-je, et dire que je vais devoir subir cela pendant un mois.
Puis Alain, l’un des plongeurs ajouta :
- pour les aliments, tu n’as qu’à épicer abondamment, et pour l’eau tu y ajoutes beaucoup de sucre, tu verras cela cache un peu le goût.
Je suivi son conseil mais le résultat n’était pas fort convaincant.
Après ce premier repas de merde, on me montra où l’équipe avait ses quartiers.
Là non plus, je n’étais pas gâté.
Les Américains avait parqué les plongeurs en fond de cale dans un petit réduit situé près des machines qui n’arrêtaient jamais de tourner.
Là, dans ce qu’ils osaient appeler une cabine, ils avaient installer quatre lits qu’ils avaient probablement récupérer dans l’une ou l’autre décharge.
Franchement, à part le chef d’équipe qui était un peu mieux logé que nous, ce n’était pas la joie.
Il est évident que les ricains ne nous avaient pas à la bonne.
De plus, cela n’allait pas s’arranger avec mon arrivée à bord car malheureusement dans mon genre, je n’étais pas le dernier à faire des conneries.
En effet, le lendemain de mon arrivée j’avais remarqué qu’il y avait dans le mess une machine à faire des toasts.
Contrairement aux machines classiques que je connaissais, celle-ci était rotative et permettait de rôtir en continu bon nombre de tranches de pain.
Pour cela, il suffisait de mettre la tranche de pain sur un support vertical où elle était maintenue en place par un petit clip.
La marchandise suivait ensuite le convoi des autres tranches, passait par-dessus la machine puis piquait vers l’arrière où se trouvait le grill électrique, ensuite, quelques dizaines de secondes plus tard repassait sur la face avant où on pouvait la récupérer bien rôtie.
Pendant deux à trois minutes, j’étudiai cette machine et me dis que grâce à elle j’allais pouvoir me faire un délicieux croque-monsieur.
Ni une ni deux, je me prépare le dit sandwich avec une double tranche de fromage et jambon que je beurre copieusement sur les deux faces extérieures et le place délicatement sur la rôtissoire.
Ca y, mon double toast est parti et vient juste de passer sur la face invisible du grille-pain.
Déjà j’ai les babines qui mouillent à l’idée du festin qui m’attend.
J’attends. Bizarre, le toast du gars qui était derrière moi vient d’arriver et pas le mien.
Comme il ne pouvait pas passer devant le mien, je me dis que j’ai certainement mal compté.
Pourtant, je ne me sens pas très à l’aise.
J’ai l’impression que quelque chose a foiré dans la manœuvre car une étrange odeur de brûlé ainsi que de la fumée commence à sortir du toaster.
Merde que faire ? Par réflexe, je tire la fiche de la prise électrique, mais c’est trop tard, le mal est fait.
La machine n’a pas supporté le poids de mon énorme croque-monsieur qui en basculant sur la face arrière c’est détaché de son support et s’est coincé contre le grill chauffé au rouge.
La fumée dans le mess devient de plus en plus importante et les quelques personnes qui y déjeunent commencent à me gueuler dessus.
C’est maintenant au tour du cuistot de venir voir ce qu’il peut faire.
Pas grand-chose si ce n’est de faire tomber les tranches bloquées à l’aide d’un long ustensile de cuisine.
Bang, la porte du mess, s’ouvre avec un grand fracas et un gars super baraqué entre en gueulant.
C’est le Tool Pusher.
Moi j’ai compris que cela va être ma fête et j’essaie de me faire tout petit.
Le gars commence à m’invectiver dans un jargon dont je ne comprenais que dalle à l’exception des derniers mots qui étaient YOU STUPID FROGGIE, NEXT TIME YOU GO ! AND NOW EVERYBODY OUT OF HERE !
Résultat, tout le monde dehors pendant qu’on aérait la salle.
Inutile de dire que cet incident n’améliora pas les relations entre la France et l’Amérique.
En ce qui concerne le boulot, nous étions ici sur un bateau de forage et mon début de séjour à bord, coïncida à quelques jours près, au forage d’un nouveau trou et dès lors je pouvais suivre les diverses phases de travail qui devaient progressivement emmener le trépan de forage jusqu’à une éventuelle poche de brut ou de gaz.
Pour l’heure, on venait d’installer la plaque de base temporaire et un forage était en cours pour foncer le tubage de 30 pouces.
Sur un navire de forage, tous ces travaux se font sans plongeurs et le rôle de l’équipe se bornait à attendre un éventuel incident sur la tête de puit.
Pourtant, au cours des jours suivants, ou plutôt des nuits suivantes nous fûmes sollicités à maintes reprises par le Tool Pusher qui adorait nous envoyer faire des plongées d’observation avec la tourelle afin de vérifier la bonne mise en place des divers équipements.
En principe, ces plongées n’étaient pas vraiment nécessaires car la tête de puits était équipée d’une caméra sous-marine qui permettait de surveiller en permanence l’installation.
Mais bon, il fallait probablement que le client en ait pour son argent, résultat les plongeurs à l’eau.
Moi, à part le fait de devoir me lever sur le coup des deux heures du matin, cela me plaisait assez ce genre de plongée en pression atmosphérique car au fond de la méditerranée, j’avais l’impression d’être au beau milieu d’un aquarium dans lequel évoluait une multitude de poissons attirés par les projecteurs de notre tourelle.
à suivre