Photo : Tourelle de plongée
En 1976 j’avais réussi à me faire embaucher par COMEX HOULDER pour passer la saison en mer du Nord comme plongeur saturable sur la jet barge CREEK.
La saison allait durer de mai à octobre, et durant toute cette période, la barge allait ensouiller des dizaines de kilomètres de pipelines.
Lorsque je démarrai ma carrière de plongeur offshore un an plus tôt, j’avais déjà eu l’occasion de travailler en tant qu’unique francophone avec des plongeurs anglais et écossais.
Mais cette fois ci, j’étais néanmoins un peu plus inquiet car j’allais être en saturation avec eux et de ce fait j’avais peur de ne pas toujours comprendre leur terrible accent.
Effectivement, mes premiers jours en caisse furent assez difficiles et plus d’une fois je dus demander à mes compagnons de caisson d’écrire sur un papier ce qu’il voulait me dire.
Mais heureusement pour moi, cela ne dura que quelques jours et je m’habituai vite à leur voix déformée par l’hélium.
En même temps, j’étais devenu l’interlocuteur privilégié pour passer les messages et les commandes de repas aux caissons masters car ceux-ci comprenaient mieux mon anglais (sans accent) que celui des leurs compatriotes.
Sur toutes les barges ensouilleuses, les principales missions des plongeurs consistaient à positionner l’énorme jet de 36 tonnes à cheval au dessus des pipelines et d’ensuite faire toutes les 6 heures environ une inspection de la machine, du pipeline et de la tranchée.
En fait un travail très bien payé mais avec de nombreuses périodes de stand by et d’ennui entre les plongées.
Un des problèmes liés à ce type de travail est dû au fait qu’à l’exception de la plongée destinée à poser le jet, toutes les autres plongées se font dans le noir total et ceci est dû au fait que les pompes haute pression servant à désagréger le terrain de même que les air lifts ne sont arrêtés qu’au tout dernier moment juste quelques secondes avant la mise à l’eau du plongeur.
Depuis le début de la saison, je faisais équipe avec Tiny Gulliver.
Il était environ deux fois plus costaud que moi et quand on nous voyait ensemble, nous avions l’air de ressembler à Laurel (moi) et Hardy (lui). Néanmoins, nous formions une sacrée équipe et j’adorais travailler avec lui.
Le 19 août 1976, la mer était vraiment mauvaise sur « Ninian field » mais malgré tout la barge continuait à tirer sa machine.
Vers 18h00 le chef de poste vint nous informer que nous devions faire une plongée d’inspection.
Comme c’était à mon tour de plonger, Tiny passa dans la tourelle pour faire la check list.
Une fois celle-ci terminée, je passai dans le caisson humide pour enfiler mon vêtement à eau chaude puis le rejoins dans la tourelle.
Après avoir purgé le sas, la tourelle fut déclampée du caisson humide et elle commença sa translation vers le bord arrière de la barge.
Par les hublots, nous pouvions voir que la mer était rude et qu’il y avait une sacrée houle.
Durant le passage de la surface de l’eau, la tourelle fut ballottée dans tous les sens et nous avions intérêt à bien nous tenir.
Mais très rapidement, le balancement diminua au fur et à mesure que nous descendions.
Comme à l’accoutumée, le Bellman annonça les profondeurs par tranche de 10 mètres.
- 60 mètres
- 90 mètres
- 130 mètres
- 145 mètres
145 m répondit le chef de poste « on descend la tourelle doucement ».
A 150 mètres, le Bellman annonça « porte ouverte ».
Puis comme d’habitude, nous avons fait descendre la tourelle de 3 à 4 mètres de manière à être un peu plus près du fond.
La tourelle était maintenant stabilisée à 154 mètres et le chef de poste m’informa que je pouvais m’équiper.
Tiny me mit le biberon secours sur le dos, réglât l’eau chaude, me brancha le flexible et finalement me mit le kmb16 sur la tête et me voila prêt à plonger.
Moi : Surface tu me reçois ?
Chef de poste : Fort et clair Francis Ok tout est arrêté, tu peux sortir.
Moi : Ok prêt à quitter la tourelle.
Comme j’étais assis au bord du hub, je me redressai sur les bras de manière à faciliter le passage du biberon secours et plouf ! Je me laissai descendre dans le tube lorsque soudainement : BAOUMM ! La tourelle tapa sur le fond tandis que moi j’étais maintenant debout sur le sable tout en étant toujours au milieu de la tourelle.
Moi : SURFACE, vite remontez la tourelle.
C.P : répète !
Moi : Vite remontez la tourelle nous avons tapé le fond.
C.P : Compris, on remonte.
BAOUMM ! La tourelle avait remis cela et moi j’étais toujours là au milieu du hub essayant d’agripper quelque chose pour éviter de passer sous la tourelle ce qui aurait probablement été fatal pour moi.
Heureusement Tiny avait comprit ce qui se passait et cette fois avant que la tourelle ne touche le fond pour la troisième fois, il me saisit par la poignée du casque et d’une traite me tira hors de l’eau.
WOUAH ! Mon cou gueulai – je. Mais enfin j’étais maintenant en sécurité dans la tourelle.
Celle-ci retapa une dernière fois sur le sable lorsque le chef de poste nous cria que l’on remontait de 5 mètres.
Lorsque tout fut stabilisé, la surface me demanda si j’étais OK, et si je pouvais continuer ou est-ce que je préférais annuler la plongée.
Bien que cela aurait pu être ma dernière plongée si je m’étais mis à l’eau 3 secondes plus tôt, je décidai de continuer immédiatement avant que mon esprit ne me fasse réaliser les conséquences que cela aurait put prendre.
Donc à nouveau, je me laissai glisser dans l’eau, passai sous la tourelle et parti vers la main courante qui allait me conduire jusqu’au jet.
En fait que c’était-il passé ?
Il semble que ce fut la sonde de profondeur du jet qui avait donné une fausse profondeur (plus profond qu’en réalité) ce qui laissait à son tour croire qu’il y avait encore assez d’eau sous la tourelle.
Une autre cause du quasi-accident était due au fait que nous avions plongé avec une forte houle qui donna à la tourelle, une amplitude verticale d’environ 5 mètres.
Heureusement pour nous, le système de largage des contrepoids de la tourelle avait été modifié quelques temps auparavant et ne s’était pas décroché accidentellement suite aux chocs répétés.
Cela avait malheureusement été le cas sur une autre tourelle qui était remontée de manière incontrôlée quelques mois plus tôt, tuant ces deux occupants.
Conclusion :
Si vous devez faire une plongée tourelle ou bulle dans le noir total et avec un risque de houle, contrôler toujours la distance entre la partie inférieure du support de plongée et le fond avant de quitter celui-ci de manière à ne pas se faire coincer dessous.
Papy One