Photo : La barge ORELIA
En octobre 1984 toute une bande de joyeux plongeurs, techniciens et caissons masters s’envolèrent de Paris pour rejoindre Dubaï où nous devions embarquer sur le tout nouveau DSV ORELIA.
La barge était à quai dans le port et nous avions une semaine pour la mobiliser de manière à ce quelle soit prête à nous servir de support de travail durant les 8 prochains mois.
La compagnie pour laquelle nous travaillions avait en effet remporté un important contrat de pose de manchettes pour le compte de l’Arabie Saoudite.
Pourtant, dès le second jour à bord, le gros contrat en question était menacé par une grève des plongeurs.
En effet, à cette époque, la guerre Iran / Irak battait son plein et nous avions appris incidemment que les marins (anglais) de la barge (et qui travaillaient pour la même boite que nous) avaient droit à une prime de guerre.
Evidemment, en toute bonne foi, nous aussi pensions avoir droit à cette même prime, mais nous avions faux sur toute la ligne car rien n’avait été prévu pour nous.
Comme on peux l’imaginer, notre réaction fut extrêmement rapide : LA MEME CHOSE OU C’EST LA GREVE !!
Comme la direction de Marseille ne voulait pas céder, les heures suivantes furent assez houleuses et nous nous apprêtions à faire notre sac pour rentrer en Europe.
Le lendemain cependant, le conducteur de travaux J-P.B réussit à obtenir un compromis avec la direction.
Nous n’allions pas toucher les primes de guerre, mais comme il s’agissait d’un énorme contrat au forfait, la direction nous proposât plutôt des primes ainsi que des super primes en fonction du nombre de manchettes que l’on poserait par jours.
Pratiquement tous nous acceptions ces conditions et la mob repris sans autre incident si bien qu’à la fin de la semaine la barge fut prête à appareiller pour le champ pétrolifère de Marjan.
Le voyage dura quelques jours et bien que nous n’avions soi-disant rien à craindre, le DSV devait naviguer tous feux éteint et personne n’était admis sur le pont (plus tard nous avons appris qu’un autre support de plongée avec des plongeurs en saturation avait été coulé par un missile exocet).
Une fois sur le site de travail, quinze plongeurs (moi inclus) passèrent dans l’immense caisson pour être comprimés au niveau vie de 35 mètres.
La toute première mission de plongée consistait à enlever une douzaine de brides pleines des risers 36 ’’ et 48 ’’ qui étaient déjà fixés au jacket.
A cette époque, un de mes surnoms donné par le père des tables de décompression française était « Francis, le découpeur le plus rapide à l’ouest de Marseille » et comme ma spécialité était connue par notre bien aimé esclavagiste (le conducteur de travaux) il me demanda si pour gagner du temps, je me sentais capable de découper les écrous sans abîmer les brides.
Je lui répondis pas de problème et j’eu ainsi le privilège de faire la toute première plongée de la campagne.
Il fut également décidé que pendant que je découperais les écrous, le plongeur n° 2 de ma tourelle enlèverait d’autres écrous à l’aide d’une clé à choc hydraulique, tandis que le plongeur de la seconde tourelle lui retirerait les boulons défaits, et mettrait les tapes pleines dans le panier.
Une fois dans l’eau, j’appréciais vraiment la plongée, eau super claire, un tas de jolis poissons dans le jacket et par-dessus tout un boulot que j’aimais bien.
Pour réaliser mes découpes, j’avais choisis d’utiliser des baguettes oxy arc ce qui me permettrait d’avoir un bien meilleur contrôle de ma coupe.
Le découpage des écrous était très rapides : une coupe à 3 h et 9 h et hop l’écrou s’ouvrait.
Il ne restait plus alors au plongeur de la tourelle n° 2 qu’à taper à l’aide d’une grosse masse les boulons hors des brides.
A l’autre extrémité de la plateforme, Laurent le plongeur n° 2 était lui aussi occupé à retirer ses écrous à l’aide de la clé à choc, mais comme prévu, le découpage allait bien plus vite que le dévissage mécanique et après un certain temps je me retrouvai à travailler à coté de lui.
Aussi, j’informai la surface que j’allais terminer le riser 48 ’’ et que pour ne pas être gêné, j’envoyais Laurent donner un coup de main à Roger le plongeur n° 3.
Pendant que j’étais occupé à découper sur la dernière tape pleine, je vis tout d’un coup que le mou de mon narghilé commençait à remonter.
Bien entendu, je cessai de découper pour regarder ce qui se passait.
Immédiatement, je vis que l’on remontait la clé à choc, mais pu voir aussi que malheureusement celle-ci avait accroché mon narghilé qui maintenant suivait le même chemin vers la surface.
Donc calmement j’appelai la surface :
Moi : Surface plongeur 1
Surf : J’écoute plongeur 1
Moi : Est-ce que tu peux arrêter la clé à choc car elle est accrochée dans mon narghilé.
Surf : Répètes !
Moi : STOP la remontée de la clé à choc.
Surf : Désolé, je n’ai pas compris, répètes.
Entre-temps, je pouvais voir qu’il ne restait pratiquement plus de mou dans mon narghilé et durant un bref instant je songeai à faire un tour mort avec le restant de celui-ci autour du riser, mais très rapidement je réalisai que l’idée était stupide car mon ombilical de 12 cm de diamètre ne casserais pas, mais moi oui.
Comme je commençais maintenant à quitter le fond, je gueulai à nouveau en articulant du mieux que je pus :
Moi : SURFACE S.V.P. ARRETE LA REMONTEE DE LA CLE HYDRAULIQUE.
Surf : QU’EST-CE QUE JE DOIS STOPPER ??
J’étais maintenant à 6 ou 7 mètres du fond et je continuais toujours à être tiré vers la surface.
Je savais que je n’avais absolument aucune chance d’en réchapper et en même temps, j’en voulais à mort à ce connard de chef de poste qui à cause de sa surdité allait faire une veuve et un orphelin.
Dans un dernier cri de désespoir, j’hurlai : SURFACE ARRETE TOUT !! Et dieu merci la remontée cessa.
J’étais maintenant pendu plus haut que la tourelle que je pouvais voir au loin, mais enfin je ne montais plus.
Ensuite, après quelques secondes supplémentaires la clé à choc se mit à redescendre et lorsqu’elle arriva à mon niveau je pus enfin la libérer de mon narghilé.
En fait, que c’était-il passé ?
Lorsque j’informai le plongeur n° 2 qu’il pouvait arrêter son travail avec la clé, lui informa la surface que l’outil hydraulique pouvait remonter.
Cependant, après quelques minutes de stand by, le chef de poste informa Laurent qu’il y avait un petit problème avec le winch mais qu’en attendant il pouvait aller donner un coup de main au plongeur n° 3.
Quelques minutes plus tard, le treuil fut réparé et la surface commença à remonter l’outil sans apparemment prévenir le chef de poste.
Puis, dès le début de l’incident, le chef de poste ne put faire la distinction entre mes appels et ceux de Laurent qui également essaya de le prévenir de ce qui se passait.
Plus tard de retour dans la tourelle j’appris que ce ne fut pas mon dernier cri de désespoir qui avait stoppé mon ascension, mais bien l’ordre du plongeur de la deuxième tourelle qui lui aussi avait vu ce qui se passait et qui informa son propre chef de poste.
Et finalement ce fut ce dernier qui ordonna aux hommes de pont de cesser la remontée de la clé.
La suite des 8 mois de chantier se déroula sans incident majeur.
De nombreuses manchettes de toutes tailles furent posées dans des temps record et pratiquement toutes les personnes concernées touchèrent un tas de bonus et super bonus.
Conclusions :
Tester toujours les oreilles de votre chef de poste avant de plonger.
Papy One